Élu Ballon d’Or africain 2018 lors des CAF Awards, le footballeur Égyptien Mohamed Salah est aussi la nouvelle icone de son pays.
Ses buts avec Liverpool, son influence dans le jeu de la sélection nationale égyptienne, son engagement caritatif, sa simplicité et son humilité… Mohamed Salah n’a que 26 ans, mais il est – et de loin – l’homme le plus populaire d’Égypte, et pas seulement parce qu’il est aujourd’hui l’un des meilleurs footballeurs du monde, avec Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Luka Modric, Kylian Mbappé, Eden Hazard, Antoine Griezmann ou Neymar.
L’année dernière, l’attaquant des Pharaons a franchi un cap, même si aucun trophée collectif n’est venu enrichir son palmarès. Mais il a marqué beaucoup de buts avec Liverpool, s’offrant même le titre de meilleur buteur de la Premier League 2017-2018 avec 32 réalisations. Et il a contribué sa sélection à se qualifier pour la CAN 2019 – que l’Égypte organisera – en inscrivant quatre buts en trois matchs.
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Bien sûr, on pourra toujours rappeler que Salah n’a pas vraiment brillé lors de la Coupe du Monde 2018 en Russie, malgré les deux buts qu’il a marqués. Mais il était arrivé blessé, et l’Égypte, enfermée dans le système ultra-défensif de l’Argentin Hector Cuper, ne pouvait guère nourrir de vraies ambitions.
La nomination du Mexicain Javier Aguirre, réputé pour prôner un football plus offensif, devrait permettre à Salah de mieux exprimer ses qualités. « Mais il ne faut pas oublier que la sélection est très dépendante de lui. D’ailleurs, cette situation devrait perdurer et les autres joueurs de l’équipe l’acceptent volontiers, car ils savent que Salah est une force supplémentaire. Et malgré son statut, c’est quelqu’un qui ne tire pas la couverture à lui », résume Patrice Carteron, qui connaît bien le contexte égyptien pour avoir entraîné Wadi Degla (janvier-juillet 2016) et Al-Ahly SC (juin-décembre 2018). « Quand il avait menacé de prendre sa retraite internationale après la Coupe du monde suite aux tensions avec sa fédération, cela avait été vécu comme une catastrophe. »
Carteron : « Une énorme pression qu’il assume »
L’Égypte, qui accueillera donc la CAN 2019 (15 juin-13 juillet), se met à rêver d’un nouveau titre continentale, neuf ans après celui obtenu en Angola. « Cela pourrait être sa CAN. L’Égypte évoluera à domicile, guidée par un des meilleurs footballeurs de la planète. Salah sait qu’une énorme pression pèse sur lui, mais il l’assume sans problème », poursuit Carteron.
Mohamed Salah né à Al-Nagrig, à une centaine de kilomètres du Caire, avait un père lui-même ancien footballeur, et réputé très dur avec ses enfants. « Il a fait plusieurs essais dans plusieurs clubs, et il a finalement signé une licence à Arab Contractors, un club du Caire. Pendant des années, il faisait l’aller-retour entre son village et Le Caire pour s’entraîner, pour jouer. C’était dur, mais son père le poussait à continuer, car il savait qu’il avait du talent », explique Ahmad Hassan, un ancien dirigeant du club d’Ismaïly.
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En 2010, alors qu’il est âgé de seulement 17 ans, Salah effectue ses débuts en Ligue 1, attirant l’attention d’Al-Ahly et de Zamalek, les deux mastodontes du Caire. « Ils ont voulu l’acheter, mais les dirigeants d’Arab Contractors n’ont jamais voulu le vendre à un de ces deux clubs », poursuit Ahmad Hassan.
Bâle plutôt qu’Al-Ahly ou Zamalek
Ce sera finalement le club suisse du FC Bâle qui parviendra à convaincre les décideurs cairotes, moyennant un chèque de 2,5 M€, de laisser partir leur jeune prodige. Révélé en Suisse, transféré à Chelsea, prêté à la Forentina puis à l’AS Roma avant d’être transféré dans le club de la capitale italienne où Liverpool consent à débourser 42 Me (+ 8 M€ de bonus) pour s’offrir en juin 2017 le buteur égyptien, auteur d’une brillante saison en Italie (19 buts et 16 passes décisives toutes compétitions confondues.
« C’est à Liverpool qu’il a vraiment pris une dimension supplémentaire, dans une équipe offensive. Les matchs des »Reds » sont presque aussi suivis que ceux des Pharaons », note Carteron, alors que Salah permet à l’Égypte de se hisser en finale de la CAN 2017 au Gabon face au Cameroun (1-2).
Très impliqué dans sa ville natale
Mais Salah est aussi un personnage dont la notoriété dépasse assez largement le strict cadre sportif. Lors de la dernière élection présidentielle, environ un million d’Égyptiens ont donné leur voix au joueur, qui n’était évidemment pas candidat. Salah reste en effet très discret sur ses opinions politiques.
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« C’est un homme qui aime profondément son pays. Il donne de l’argent pour différentes fondations, il aide les gens, et c’est pour cela qu’il est très apprécié », affirme Sébastien Desabre, l’actuel sélectionneur de l’Ouganda passé par Ismaïly en 2016. Ainsi, il aide mensuellement près de 500 familles d’Al-Nagrig, après avoir notamment financé la construction d’un dispensaire, d’une bibliothèque, d’une école coranique et la rénovation de son ancienne école. « Il y a un profond respect pour lui car il est resté proche des gens, accessible. »
S’IL EST AUSSI POPULAIRE, C’EST AUSSI PARCE QUE SALAH RENVOIE UNE BONNE IMAGE D’UN PAYS QUI N’A PAS TRÈS BONNE RÉPUTATION
Ainsi, après la Coupe du monde en Russie, Salah était venu passer quelques jours dans sa maison du Caire, dont l’adresse avait été diffusée sur Facebook. En quelques minutes, des centaines de fans se rendent sur les lieux. « Et plutôt que d’appeler la police, il est sorti dans la rue, pour discuter, signer des autographes, faire des selfies. Ça a duré des heures, et ce sont les policiers, alertés, qui sont venus pour disperser la foule », relate Carteron.
S’il est aussi populaire, c’est aussi parce que Salah renvoie une bonne image d’un pays qui n’a pas très bonne réputation. « Cela fait des décennies que l’Égypte est dirigée par des régimes très autoritaires et répressifs. Il y a aussi le terrorisme islamique, les attaques contre les coptes, et globalement, le pays est perçu comme corrompu et touché par une sérieuse crise économique. Alors, quand il y a un homme qui nous fait une belle publicité à l’étranger grâce à ses performances sportives et à son attitude, c’est appréciable. Je ne dis pas que cela permet d’oublier toutes les difficultés, mais cela les atténue », explique le dirigeant d’un club, sous couvert d’anonymat. Et si 2019 devait être l’année de Salah, avec par exemple une victoire des Pharaons en juillet prochain, et un titre de champion d’Angleterre, le frisé d’Al-Nagrig deviendrait définitivement intouchable…
JeuneAfrique