Tribune. Dans leur nouvelle stratégie en Afrique, les Etats-Unis annoncent une remise en cause des aides financières octroyées à certains pays du continent. Si l’aide internationale demeure importante, c’est surtout l’investissement qui assurera le développement et la prospérité de l’Afrique. Or sur ce terrain aussi, les Américains semblent bien en retrait. Paradoxe, quand dans le même temps, les Etats-Unis déplorent que nous allions chercher ces investissements auprès de ceux qui nous traitent en affaires comme de véritables partenaires.
Entre l’Asie, l’Europe et les Amériques, l’Afrique se trouve au centre des échanges internationaux. Cette assertion n’est pas seulement géographique. Chaque jour un peu plus, notre continent se donne les moyens de contribuer à la production mondiale de richesses.
Bien avant de devenir une superpuissance économique, la Chine était vue comme un futur géant. En 1973, Alain Peyrefitte signaitQuand la Chine s’éveillera… le monde tremblera. Nul ne doutait du réveil chinois, du fait de son capital humain. En 2050, l’Afrique comptera 2,4 milliards d’habitants, soit un quart de la population mondiale, dont 1 milliard aura moins de 18 ans. En Afrique comme en Chine, le capital humain est un atout majeur ; encore faut-il que l’on offre à notre jeunesse les perspectives qu’elle pense trop souvent trouver ailleurs.
Une classe moyenne croissante
Les barrières douanières sont pour le moment un frein à l’expression de notre potentiel commercial. C’est pourquoi l’Afrique entend se doter de la plus grande zone de libre-échange du monde d’ici à 2030. Une fois mise en œuvre, elle regroupera jusqu’à 55 Etats pour un PIB de 3 300 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros). L’Afrique ferait en quatorze ans ce que d’autres continents ont mis plusieurs décennies à construire.
Le docteur Denis Mukwege a rappelé avec force, au moment de se voir remettre le prix Nobel de la paix, que si des pays africains comptent parmi les plus riches du monde, ils sont habités par les habitants les plus pauvres. En ne faisant qu’exporter ses matières premières, l’Afrique perd toute chance de créer de la richesse, et donc des emplois. Cela est en train de changer. Plus que par les exportations, la croissance économique du continent est d’ores et déjà tirée par la consommation de sa classe moyenne, en forte croissance. Le continent s’industrialise et entend désormais transformer les biens qu’il exporte.
Les derniers classements internationaux montrent des signaux encourageants. Dans le rapport « Doing Business », Djibouti a ainsi fait un bond de 55 places en un an et se classe parmi les dix économies ayant le plus amélioré leur climat des affaires. L’Ethiopie affiche fièrement une croissance à deux chiffres et les développements politiques récents de la Corne de l’Afrique devraient tous nous réjouir. Nous pourrions multiplier les exemples : les inaugurations nombreuses de ports répondent à un besoin croissant en Afrique de l’Est, le ferroviaire se développe à grande vitesse au Maroc, au Nigeria et dans la Corne de l’Afrique, la croissance subsaharienne devrait atteindre 3,8 % en 2019, etc.
Inquiétude et suspicion
Pourtant, plus qu’espoir et confiance, notre continent suscite encore inquiétude et suspicion, souvent en raison d’idées préconçues ou d’analyses parcellaires. Les inquiétudes exprimées le plus communément concernent la dette. En s’endettant de manière trop importante auprès de certains créanciers, des pays africains hypothéqueraient leur future souveraineté.
D’abord, observons que ce sont ceux qui hier exerçaient leur puissance sur le continent qui semblent s’inquiéter aujourd’hui de notre souveraineté. Ces préoccupations cachent mal leurs motifs réels. Ce sont les pertes d’influence qui motivent les interrogations de ceux qui persistent à voir le continent sous le prisme du passé.
Cela dit, les dettes sont calculées à partir de l’évaluation de la richesse des nations. De nombreux pays ont mis en place des politiques courageuses afin de régulariser des circuits économiques qui échappent jusque-là au prélèvement de l’impôt. Le PIB réel de Djibouti est de 6 milliards de dollars, avec une économie informelle estimée à 4 milliards de dollars. Cela signifie que les dettes sont calculées sur des chiffres qui ne représentent pas la réalité de nos économies. Pourtant, de nombreux pays africains connaissent des taux de croissance remarquables : le Rwanda (8 %), l’Ethiopie (11 %), la Côte d’Ivoire (7,2 %). D’autres pays du continent connaîtront bientôt ces chiffres. Concrètement, cela veut dire que nos pays s’enrichissent et renforcent leur capacité à rembourser leur dette.
Un rôle de pont naturel
L’enjeu est donc de veiller à ce que cette croissance soit durable et que l’Afrique s’intègre solidement à la mondialisation. Pour cela, le continent doit en priorité combler son retard dans les infrastructures. De nouvelles estimations de la Banque africaine de développement suggèrent que les besoins du continent en infrastructures s’élèvent à environ 150 milliards de dollars par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68 à 108 milliards de dollars. Ces investissements vont bénéficier à l’ensemble de la planète, en renforçant le rôle de pont naturel que joue l’Afrique et en accélérant ainsi les échanges internationaux.
Qui aujourd’hui est disposé à investir en Afrique ? À Djibouti, nous ne fermons aucune porte et érigeons comme principe cardinal le respect de notre souveraineté. Nous avons récemment inauguré certains des ports les plus modernes d’Afrique, le premier train électrique transnational du continent et une zone franche qui pourrait devenir la plus grande du continent. Il est urgent de considérer ces développements pour ce qu’ils sont vraiment : non des occasions manquées, mais la promesse d’opportunités et de partenariats renouvelés.
Aboubaker Omar Hadi est président de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti.