La crise survenue en 1993 après l’assassinat du président Melchior Ndadaye a occasionné des pertes matérielles, en vies humaines et des contraintes à l’exil, et n’a pas épargné les zones du ressort du Diocèse de Ruyigi. Constatant la persistance de suspicions entre ethnies même après l’accalmie, ce Diocèse, sous l’impulsion de son Evêque Joseph Nduhirubusa, a décidé d’agir, en mettant en place un cadre de dialogue entre les victimes et les auteurs des crimes, dont les fruits font la fierté de cette région et un modèle pour le reste du pays.
« Le diocèse de Ruyigi, sur l’initiative de son Evêque Monseigneur Joseph Nduhirubusa et ses collaborateurs, a pris la décision de chercher les voies et moyens pour rassembler les gens jadis voisins et parentés, mais dès lors séparés par les affres de la guerre de 1993. C’est dans ce cadre qu’il a été mis sur pied la Commission Diocésaine Justice et Paix (CDJP) Ruyigi, pour rassembler, par la prière et le travail, les hutus et les tutsis qui n’osaient plus se rencontrer, ni à l’église, ni au marché », confie Fidès Nizigiyimana, coordinatrice du secteur Justice et Paix au sein de la CDJP Ruyigi.
« Les hutus en cachette dans les marais ou réfugiés en Tanzanie, les tutsis regroupés dans les camps de déplacés, tous ont été appelés au dialogue, à une prière commune, réhabilitation réciproque des maisons, et petit à petit ils ont vu que la cohabitation est encore possible. C’est ainsi que le gros du travail a commencé », poursuit Fidès Nizigiyimana.
Un rapprochement difficile
Parler de pardon ou confesser ses crimes entre personnes ayant un lourd contentieux est miné par le sentiment de culpabilité pour les auteurs des crimes, redoutant la vengeance de la part des victimes. « Au cours des réunions d’échange sur ce qui s’est passé en 1993, l’intolérance se fait sentir au point d’en venir aux mains, s’accusant mutuellement. Nous essayons de leur montrer que tout le monde a perdu et est blessé, que le dialogue est le seul moyen de s’en sortir », témoigne encore Fidès Nizigiyimana.
Evelyne Kubwayo, animatrice et chargée de la communication à la CDJP Ruyigi, reconnaît que chacun a son moment de guérison. « Dans un premier temps, les auteurs des crimes rejettent catégoriquement leur responsabilité. Nous donnons la chance au temps et à la prière sans aucune forme de contrainte, nous limitant à leur montrer la valeur de demander et d’accorder le pardon », fait savoir Evelyne.
Le point de rencontre entre auteurs et victimes des crimes est difficile à établir. Les victimes ne trouvant pas d’intérêt à exiger le pardon car n’espérant pas retrouver les leurs, la situation est plus compliquée pour les auteurs qui craignent être traduits en justice après leurs aveux. « La stratégie est de donner à tous une communication qui démontre que seule la vérité peut libérer les cœurs et les esprits, que celui qui accorde et celui qui reçoit le pardon sont tous libérés », fait savoir Brigitte Kinunda, une maman à la retraite de la CDJP Ruyigi.
La patience paye
Dans un climat détendu, Karama Juvénal, côte à côte avec Bihogora Isaac et Gratien Kabura, raconte comment il a, non sans difficultés et maintes hésitations, demandé pardon à ces deux frères dont il tué les parents (Bihogora Gabriel et son épouse) à coup de massue, sous, dit-il, les intimidations et menaces des autres tueurs enragés. « Avec l’appui de SOPRAD-CARITAS Ruyigi (Organisation dont CDJP est un des secteurs d’activités, NDLR), j’ai demandé solennellement pardon, pour la libération de mon cœur et à décharge de mes enfants. Ce n’était pas facile, pour être honnête. Certains me traitaient de traitre, mais j’ai continué le chemin et le résultat est réel : mes enfants et ceux de la famille Bihogora vivent en parfaite harmonie », affirme-t-il, un air convaincu.
Pour montrer qu’il est du côté des tueurs, Ahindavyi Nestor a tué l’oncle de sa voisine Concessa Ruviwabo. Il a plaidé sa culpabilité alors que cette dernière avait en tête pendant des années que c’est son voisin Ndimunkwenge qui a tué son oncle, une confusion qu’elle partageait avec Violette Harerimana, qui, pendant des années pensait que son père avait été tué à Butezi par un homme qu’elle avait vu porter ses vêtements, avant que le responsable du crime, rongé par le souci de libérer son cœur, soit venu demander pardon.
Dans tous les cas, les victimes des ces horreurs affirment que les enseignements de la CDJP, guidés par le Sait Esprit, ont facilité l’acceptation des douleurs des auteurs des crimes qui ont bien voulu se confesser, et guidé leurs marches vers la réconciliation.
Une initiative soutenue qui fait déjà tache d’huile
Le projet Justice et Paix initié par le Diocèse de Ruyigi a été accueilli favorablement par les autorités administratives, qui ont trouvé en lui une adéquation directe avec le programme du gouvernement de mettre en place la Commission Vérité et Réconciliation CVR, qui a trouvé dans le ressort du diocèse les bonnes bases de réconciliation.
Le président de la CVR Pierre Claver Ndayicariye, salut le travail inspirant du Diocèse de Ruyigi en matière de paix, justice et réconciliation. « Nous avons des rapports précieux du Diocèse de Ruyigi à travers la CDJP. Ses actions ont inspiré les Diocèses de Muyinga, Ngozi et Gitega, et les autres vont suivre », se réjouit Ndayicariye, et d’affirmer qu’il n y’a pas d’autres voies de sorties de l’engrenage des tueries cycliques, si nous n’empruntons pas le chemin de la vérité, de demande et d’octroi du pardon, pour couper court avec la globalisation qui a gangrené le pays.
Pour consolider les acquis, SOPRAD-CARITAS Ruyigi à travers la CDJP, a initié les coopératives de production réunissant les réconciliés à travers les paroisses du Diocèse, et une journée dédiée à la réconciliation est organisée chaque année, le dimanche proche du 9 septembre, en mémoire de Monseigneur Joachim Ruhuna, premier Evêque du Diocèse de Ruyigi.