Au Burundi, le changement climatique et les effets du phénomène El Niño notamment les inondations ont entraîné le déplacement internet de plus de 196 000 personnes. Parmi elles, les jeunes confrontés à de graves problèmes de santé mentale, dont le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), qui perturbent leur scolarité. Malgré des initiatives en cours au pays comme le projet « Ni Abacu », des mesures conséquentes pour traiter les traumatismes et pour améliorer les plans de réponses aux catastrophes sont nécessaires. Ainsi, l’intégration de la santé mentale aux soins de santé chez les enfants et les adolescents s’impose.
Cet article a été réalisé avec le soutien de « bourses Rosalynn Carter pour le journalisme en santé mentale » en partenariat avec le « Centre mondial pour la santé mentale des enfants et des adolescents de la Fondation Stavros Niarchos (SNF) » de « Child Mind Institute » .
Par Avit Ndayiziga
Une survivance aux inondations déchirantes

Sylvane Bigirimana, 42 ans, mère de quatre enfants est survivante des inondations catastrophiques qui ont dévasté des constructions dont sa maison à Gatumba,en province Bujumbura. Elle se sent soulagée si elle est encore en vie.
Trouvée dans une hutte construite en tentes au site temporaire de Gisagara, en commune Mubimbi de la même province où elle s’abrite désormais avec ses enfants, elle se souvient d’une nuit de malheur, quand de l’eau a envahi sa maison, submergeant ainsi tous ses biens. Plongée aux inondations cycliques depuis 2022, elle essayait chaque fois d’y faire face mais un jour, la famille s’est vue totalement sous eau à tel point qu’elle ne pouvait rien faire. Avec les crues de la rivière Rusizi, le niveau de l’eau est monté à ou moins trois mètres. « Nous étions coincés dans l’eau, n’eut été l’intervention des volontaires de la Croix-Rouge du Burundi qui sont vite venus à notre secours.» Explique Sylvane.
Elle témoigne avoir eu de la panique lorsqu’elle a soudainement été réveillée par les inondations au milieu de la nuit alors qu’elle s’endormait. Déboussolée, elle a, avec ses quatre enfants, commencé à errer désespérément. Le cauchemar survient en mars 2024 à son domicile au quartier Vugizo en zone Gatumba, commune Mutimbuzi de la province Bujumbura dans la partie ouest du Burundi vers la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC).
Ces inondations meurtrières se sont produites quelques heures après les pluies diluviennes mêlées d’orages et d’éclairs, qui s’étaient abattues sans relâche dans la localité dès la veille. C’est le jour où Sylvane a perdu tout ce qu’elle possédait à la maison.
Bigirimana fait partie des 196 171 personnes déplacées par la suite des effets du changement climatiques toujours logées aux sites temporaires aménagés de personnes déplacées à travers le pays ( PDI ), notamment celui de Gisagara, le site de Gateri et celui de Mutambara selon la matrice de suivi des déplacements de l’Organisation internationale pour les migrations ( OIM ), le tableau de bord des déplacements au Burundi du 31 décembre 2024.
La matrice de l’OIM révèle que 55 % des déplacées internes sont des femmes, 45 % sont des hommes et 55 % sont des enfants et des adolescents de moins de 18 ans.
« Depuis 2018, des chocs climatiques soudains, notamment des pluies torrentielles, des inondations et des vents violents ont touché 1.016.849 personnes au Burundi occasionnant ainsi 161 décès et 788 blessés.
Entre janvier 2018 et décembre 2024, les principales provinces touchées étaient Kirundo (179.435 personnes affectées), Bujumbura Rural (171.359 personnes affectées) et Ngozi (167.135 personnes affectées). » Précise la matrice.
Outre les graves conséquences humaines, ces catastrophes ont détruit de nombreuses maisons d’habitation. La matrice fait état de 85.592 à travers le pays, 781 salles de classe et 640 autres infrastructures.
La destruction des salles de classe a entraîné une augmentation du taux d’abandon scolaire, passant de 2,3 à 2,8 au Burundi. Dans les zones les plus touchées, ce taux est passé de 2 à 3. Les difficultés financières constituent un facteur majeur, car de nombreux enfants ont été contraints à travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles, les champs de culture ont également été endommagés affectant ainsi 112.664 ménages environ.
L’impact dévastateur du phénomène El Niño
Selon le rapport de l’ Institut National de la Statistique du Burundi (INSBU , les fortes pluies susmentionnées qui ont frappé la région sud-ouest du Burundi le long du lac Tanganyika , de la rivière Rusizi et d’autres pays de la Communauté Est Africaine pendant la période pluvieuse entre les années 2023 et 2024, entraînant des inondations, de glissements de terrains, des vents violents et de fortes précipitations, ont été appelées le « phénomène El Niño ».
Le même rapport indique que depuis le début de la saison pluvieuse en septembre 2023, les inondations ont coûté la vie à 33 personnes. Parmi elles, 7 ont été dévorées par des crocodiles alors qu’elles tentaient de sauver leurs biens submergés et 10 autres mortes par suite du choléra parmi les 1.820 cas recensés.
Grosso modo, le phénomène El Niño a touché 306. 000 personnes pendant cette période et sur les 13.335 maisons inondées, 11.200 ont été détruites ou endommagées, comme l’indique le rapport susmentionné.
Outre les habitations, des infrastructures publiques, notamment des centres de santé et 220 écoles, ont également été détruites, obligeant ainsi les élèves à apprendre étant à l’air libre ; souvent sous les arbres.
Les pertes et dommages haute cité confirment la vulnérabilité du Burundi aux effets dévastateurs du changement climatique, quoi le pays en produise moins de 0,0024 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2022 .
Selon le rapport de la Banque mondiale, le changement climatique est la principale cause de déplacement interne des personnes au Burundi et affecte de manière disproportionnée les femmes et les enfants vivant dans les zones rurales et côtières du pays. Le Burundi se classe donc parmi les 20 pays les plus touchés au niveau mondial en raison des catastrophes naturelles.
La vie au site, peur et traumatisme
Lorsque les inondations ont tout emporté chez elle, Sylvane Ndagijimana et ses quatre enfants ont été déplacés vers le site temporaire de Gisagara situé en commune Mubimbi de la province de Bujumbura dans l’ancienne structure administrative.
De notre visite au site en décembre 2024, nous les avons trouvés dans une hutte couverte de bâches en plastique et soutenue par des morceaux de bois. Leur habitat en état rudimentaire ; signe éloquent des conditions de vie difficiles mais aussi de l’incertitude chez les déplacés internes victimes des aléas climatiques au Burundi.

Alors que la partie ouest était sous un soleil de plomb, de sombres nuages s’accumulèrent de façon inquiétante dans les environs du site, annonce d’une pluie intense qui allait tomber. Des éclairs au ciel, le tonnerre gronda ici et là. Pendant ce temps, Jean Marie Ciza, un des fils de Sylvane, sept ans, éclata en sanglots. Mais il n’était pas seul, des pleurs d’enfants se faisaient entendre de part et d’autre dès l’entrée du site.

Leurs cris attirent notre attention, mais pourquoi ? Ciza ne pouvait pas répondre. Il continua à pleurer. Sa mère intervient et explique : « Dès qu’il y a signe qu’il va pleuvoir, les enfants se mettent à pleurer. Nous pensons qu’ils se souviennent du calvaire lors des inondations précédentes. Certains sont traumatisés par les orages et par des coups de foudre qui s’abattent sur le site. Ils craignent le retour du malheur de Gatumba qui nous a contraints de quitter domiciles et ménages. »
Un risque de « trouble de stress post-traumatique »
Expliquant les raisons qui poussent ces enfants aux larmes, Dr Léandre Simbananiye, psychologue clinicien, révèle que chaque moment de pluie intense fait renaître « des blessures et traumatismes non traités les amenant à revivre les expériences du passé.» Il a qualifié ce phénomène de « syndrome de répétition traumatique qui déclenche des pensées, des images, … liées à des souvenirs traumatiques, leur faisant craindre le retour d’événements pénibles ».
« Le traumatisme se manifeste sous diverses formes, notamment des sentiments de détresse, une peur intense, des flashbacks proches des cauchemars et des pensées de mort imminente. » a déclaré l’enseignant chercheur. Et d’ajouter : « Il existe également des symptômes psycho physiologiques tels que des palpitations cardiaques, une respiration rapide, des tremblements, des frissons et une transpiration excessive. »
Dr Simbananiye prévient qu’un traumatisme non traité peut entraîner un trouble de stress post-traumatique (TSPT), un trouble psychiatrique qui perturbe la vie au quotidien, l’apprentissage scolaire et les interactions sociales. Il compare cela au fardeau psychologique rendant difficile la concentration en classe pour les enfants sinistrés. « La peur, l’anxiété et la détresse se répercutent sur le rendement scolaire. », a -t-il averti.
La scolarisation mise en cause
Les circonstances demeurant, inquiète pour l’avenir de son fils, Sylvane B. ne cache pas son désarroi. En effet, dit-t-elle : « Il pleut à chaque fois de nuages orageux. L’école étant loin de chez nous, loin, l’enfant s’expose toujours aux fortes pluies, au vent violent, le tonnerre et les éclairs l’ont traumatisé, il n’a plus l’engouement de l’école. »
Joseph Ndikumana et Alice Niyonsaba, tous élèvent sinistrés respectivement âgés de quatorze et seize ans, parmi les ménages touchés par les inondations vivent le même calvaire. Ces enfants ont vu les maisons détruites et les établissements scolaires inondés, raison de parcourir de longues distances et de se retrouver dans des conditions difficiles d’apprentissage.

« Quand il commence à pleuvoir alors que nous sommes en classe, mon cœur bat la chamade. Certains élèves ont dû abandonner l’école parce que, toujours mouillés et sous la pluie. Nous sommes dans des conditions atroces. A indiqué Ndikumana, fondant les larmes aux yeux.

« Lors des inondations à Gatumba, nous avons tout perdu. Là où nous sommes maintenant, il fait très froid et nous parcourons une longue distance pour aller à l’école. Mais ce qui me fait le plus mal, c’est quand mes camarades de classe me rappellent ou me demandent tout ce qui est en rapport avec ces circonstances. Cela me rappelle des cadavres que j’ai vus pour la première fois, noyés dans l’eau. Ça brise mon cœur. » s’indigne Alice Niyonsaba, 16 ans, encore sous le choc des souvenirs traumatisants qui affectent sa concentration.
En comparaison avec sa vie d’avant les inondations, Niyonsaba trouve qu’habiter le site aux côtés des personnes qu’elle ne connaissait pas auparavant est stressant. Car, explique –t-elle : « Je suis amenée à m’adapter à leurs comportements. »
Elle déplore également l’absence d’électricité au site, une situation ; en fait, qui prive les enfants de leur droit au loisir comme regarder la télévision notamment les dessins animés ainsi que d’autres programmes pour les enfants. L’absence de cadre de divertissement l’ennuie davantage et lui rappelle les circonstances de Gatumba. Et de se demander si elle pourra un jour retrouver sa vie à la normale.
La scolarisation des enfants résidant le site : entre peur et traumatisme
Alors que l’enseignant chercheur Léandre Simbananiye prévient qu’un traumatisme non traité peut évoluer en « syndrome de stress post-traumatique » (SSPT) qui perturbe l’apprentissage des élèves, Barthélemy Nyabenda, directeur du Lycée Communal Martyazo II, un établissement fréquenté par un bon nombre d’élèves sinistrés à Mubimbi, évoque les conditions difficiles d’apprentissage Nyabenda regrette que les élèves effectuent un long trajet et que , souvent , ils vont à l’école sous la pluie sans ni abri ni couverture aucune ; ce qui entraîne des retards.
Ainsi, ajoute l’éducateur, : « Les élèves arrivent toujours fatigués, certains décident d’abandonner l’école. Donc, les pluies intenses mêlées de vents violents avec du tonnerre et des éclairs, rendent leur trajet encore plus périlleux. Car, la localité manque de maisons le long de la route où pourraient s’abriter ces enfants. Nombreux des élèves rentrant étant mouillés, avec leur matériel scolaire endommagé. Ils ne peuvent dans ce cas avoir l’engouement de continuer l’école, ils sont plutôt désespérés à tel point que certains ont déjà abandonné l’école en raison de cette situation insurmontable. »
Ce responsable scolaire a confirmé 31 cas d’abandons recensés en premier trimestre de l’année scolaire 2024-2025 en trois établissements à savoir : le Lycée Communal Martyazo, l’école fondamentale Martyazo II et l’école fondamentale Kanyinya.
Le responsable en chef du site Gisagara partage les inquiétudes avec le directeur. Abdul Karim Muzinga regrette la distance située entre l’école et le site. « Nous avons signalé le problème au ministère de l’Éducation », déclare-t-il, ajoutant que le gouvernement avait promis la construction des mobiles pour remédier à ce problème.

Il a toutefois souligné que les difficultés rencontrées par les élèves vont au-delà du simple accès à l’éducation. « Beaucoup d’élèves sont sérieusement traumatisés. Ils ont besoin d’un accompagnement psychologique pouvant les faire comprendre que la vie continue après le désastre et que le pays a toujours besoin de leur contribution à l’avenir », a insisté Muyinga.
Toutefois, le responsable du site exhorte les parents à encourager les enfants à aller à l’école. « Même dans ces conditions difficiles, il est crucial que les parents encouragent leurs enfants à poursuivre leurs études. C’est cette résilience qui pourra façonner leur avenir » estime ce leader.
Victimes mentalement ruinées
Docteure Godelive Nimubona, l’une des quatre psychiatres que connaît le pays, actuellement prestant au Centre neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK), un parmi les centres spécialisés pour la prise en charge des problèmes de santé mentale au Burundi note de graves conséquences des catastrophes liées au changement climatique sur la santé mentale. Selon elle, les inondations et les glissements de terrain sont des événements perturbateurs et traumatisants qui affectent le bien-être des populations.

Lorsque les gens sont contraints de fuir dans de tels contextes, explique le Dr Nimubona , « Ils arrivent brisés et accablés de stress. Et si ce stress persiste, il peut entraîner de nombreux problèmes de santé mentale. Imaginez ! Assister à la mort tragique de vos proches noyés, voir votre propre maison s’effondrer sur vos enfants et votre bétail périr sous vos yeux, incapables de réagir. C’est traumatisant comme si on vous pinçait le cœur. »
L’experte en santé mentale ajoute que les victimes de ces aléas peinent souvent à faire face aux défis du quotidien. « Elles vivent avec une peur persistante des événements futurs. Beaucoup d’entre font des cauchemars récurrents et revivent fréquemment leurs expériences traumatisantes. Cela les conduit à un état d’hyper vigilance rempli d’anxiété, comme si le danger pouvait de nouveau les frapper à tout moment », a-t-elle souligné.
Dans l’emprise du trouble de stress post-traumatique
Pour expliquer l’impact des événements traumatiques dans le futur, Dr Nimubona donne un exemple. « Nous avons ici un enfant, neuf ou dix ans environ. Il a vu le toit de la maison familiale s’effondrer alors que lui et la famille étaient à l’intérieur. Du coup, il a perdu ses deux frères qui ont succombé suite à cet événement. Sa santé n’est pas normale, ça fait environ deux ans. C’est un enfant qui a même peur d’entrer dans mon bureau parce qu’il se dit peut-être que quand il entre dans mon bureau ça va encore s’écrouler sur lui », a-t-elle précisé laissant entendre que l’enfant souffre de TSPT.
Faisant référence aux données fournies par l’organisation internationale de migration selon lesquelles 55 % des déplacés internes sont des enfants de moins de 18 ans, le médecin psychiatre souligne que les enfants ont plus de vulnérabilité face aux effets du changement climatique. « Généralement, les enfants sont fragiles car ils n’ont pas encore acquis la maturité émotionnelle et mentale nécessaire pour faire face aux événements traumatisants », note Docteur Godelieve Nimubona.
Et d’ajouter que les femmes constituent une autre catégorie de personnes la plus vulnérable après les enfants. D’ailleurs, renseigne Docteur Nimubona : « La vulnérabilité des femmes a des conséquences néfastes sur les enfants. En effet, si la maman vit des conditions inconfortables, comme dans le site des déplacés, cela crée un sentiment de frustration. »
Pour la femme enceinte par exemple, cette frustration pèse lourdement tant sur la vie de la mère que sur celle du fœtus et du bébé. Parce que : « Lorsqu’une mère est stressée pendant la grossesse, l’enfant partage les mêmes sentiments que sa mère.
La psychiatre prévient que si ces conditions difficiles persistent après la naissance, les enfants risquent de rencontrer d’autres difficultés de développement. « Pour qu’un enfant grandisse normalement, certains besoins essentiels doivent être satisfaits C’est à dire que l’enfant commence à vivre un mal être ce qui signifie que l’enfant commence à être fragile avant qu’il ne naisse. Et s’il arrive que les conditions continuent comme ça, même après l’accouchement, l’enfant aura aussi des problèmes. Parce que pour que l’enfant grandisse normalement, il y a des bosons qui doivent être remplis. » A-t-elle indiqué.
Elle tient à informer qu’à part les besoins alimentaires, l’enfant a aussi d’autres besoins comme ceux émotionnels et moraux, qui permettent que l’enfant grandisse, qui permettent que l’enfant ait une bonne formation de sa personnalité. Donc fait entendre la spécialiste de santé mentale : « si ces conditions ne sont pas remplies, l’enfant va grandir dans la fragilité. Et cette fragilité va rendre l’enfant plus fragile ».
Il devient pour cela compréhensif selon qu’une maman vivant dans ces conditions ne peut pas transmettre un besoin émotionnel d’une mère dans de bonnes conditions, ce qui démontre que le manque de besoins émotionnels fragilise sans doute l’enfant puisqu’il aura un manque dans la formation de sa personnalité.
Du traumatisme infantile au trouble bipolaire
Abondant dans le même ordre d’idée, Vincent Nahimana, un ergothérapeute au Centre Neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK) , 49 ans et père de quatre enfants partageant sans faux-fuyants son parcours avec le « trouble bipolaire » qui lui a été diagnostiquée en 2002 à l’âge de 26 ans a déclaré avoir vécu des expériences déroutantes et dans la complexité durant son enfance son enfance.

De son expérience, le thérapeute explique : « Les troubles mentaux ne sont pas quelque chose dont on peut se faire vacciner. Ils découlent de défis et d’expériences profondément ancrés qui nous façonnent au fil du temps. »
Nahimana situe ses problèmes de santé mentale aux difficultés rencontrées durant son enfance. « Quand ma mère s’est mariée, elle m’a confié à mon grand-père. C’est quand j’étais encore un très petit enfant à telle enseigne que je ne me souvenais même plus l’âge que j’avais. En grandissant, je n’ai jamais connu mon père et personne dans ma famille ni parmi mes proches ne m’a jamais parlé de lui », confia-t-il.
Grandi sans soutien parental, « j’ai manqué le besoin émotionnel entre la mère et son enfant, voire entre le père et son enfant. J’ai manqué le soutien affectif et tout droit que chaque enfant devrait hériter de ses parents. »
L’absence d’accompagnement et de relations parentales lui a plongé dans un sentiment de désarroi. Ce père de famille a avoué avoir grandi sans savoir sur quel pied danser. « Je me suis retrouvé étant seul, sans personne pour guider mes premiers pas pour bâtir mon avenir. » S’est indigné M. Nahimana.
Pour comble de malheur, des gens desquels Nahimana comptait avoir du soutien moral au cours du développement moral se sont retournés contre lui par une trahison qui l’a plongé dans une grave crise de santé mentale.
Ce n’est que plus tard, que les expériences et les formatrices professionnelles lui servent de diagnostic de trouble bipolaire. « C’est la complexité et la confusion de ces expériences d’enfance qui m’ont conduit à ce point », a-t-il noté.
Le thérapeute prévient que les premiers stades de troubles mentaux passent souvent inaperçus. « Au début, les personnes peuvent ne pas reconnaître les symptômes ni les changements qui surviennent dans leur état mental », explique-t-il. Et d’ajouter que ce n’est que lorsque les individus commencent à prendre conscience de ce qui se passe qu’ils comment à chercher comment y faire face et songent à trouver des solutions qui malheureusement, sont éphémères.
Nahimana parle d’un stade aux effets néfastes parce que la charge mentale et l’afflux massif d’informations non traitées mettent, selon lui, le cerveau à rude épreuve. « C’est une transition pouvant entraîner une lésion cérébrale, qui se manifeste par un trouble de l’humeur, comme le trouble bipolaire » conclut ce technicien de santé mentale.
Du traumatisme endémique, source de syndromes de stress post-traumatique chez les enfants
Les enfants étant vulnérables aux événements traumatiques induits par le changement climatique avec des effets négatifs sur la santé mentale, les recherches sur la relation entre le traumatisme et l’attachement chez les enfants d’âge de scolarité au Burundi ont révélé que l’exposition des enfants et des adolescents aux traumatismes constitue un défi de santé publique.
Une étude a révélé que sur 500 élèves âgés de 7 à 12 ans interrogés, 56,6 % ont été exposés aux catastrophes naturelles, 62,8 % ont été témoins d’un cadavre et 61,9 % ont été exposés au décès ou aux blessures d’un être cher.
En outre, la toute première enquête sur la santé mentale menée en quatre provinces entre 2019 et 2021 au Burundi a montré que 42,7 % des personnes interrogées ont déclaré avoir connu un problème de santé lié aux nerfs et que la grande proportion d’individus ayant des problèmes de santé augmente avec l’âge.
Concernant le syndrome de stress post-traumatique, les résultats de l’enquête ont montré que 33,4% des personnes interrogées ont vécu des événements traumatisants dus aux crises sociopolitiques qu’a connues le Burundi et 72,6% de celles-ci ont avoué avoir rencontré des événements traumatisants tout au long de leur vie.
Parmi ceux-là ayant vécu des événements traumatisants, 24,3 % ont déclaré que ces événements ont provoqué des réactions telles que des souvenirs ou des rêves pénibles, un sentiment d’éloignement émotionnel ou de dépression, des difficultés de sommeil ou de concentration, ou un sentiment de nervosité plus forte que d’habitude ou de sursaut.
Selon l’enquête, 19,6 % ont déclaré avoir eu des flashbacks ou revécu des expériences au cours desquelles ils ont soudainement agi ou eu l’impression de revivre l’événement traumatique initial.
Malgré une prévalence élevée de problèmes de santé mentale, la même enquête a montré que le taux de consultation auprès de spécialistes de santé mentale demeure particulièrement faible. Soit, seulement 1,6 % des personnes ayant fait objet d’enquête ont sollicité de l’aide des spécialistes, un taux inférieur à 3,4 % des personnes ayant exprimé l’intention de consulter un spécialiste à un moment donné de leur vie.
Soutien en matière de santé mentale, encore du pain sur la planche
En 2021, avec les résultats de ladite enquête, le Ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida en partenariat avec la Coopération suisse a lancé un programme de santé mentale baptisé « Ni Abacu » (qui se traduit par « Ce sont les nôtres») ; un programme qui s’étend sur une période allant de 2021 à 2024 et visant à intégrer les soins de santé mentale dans le système de soins de santé en quatre provinces du Burundi à savoir : Bujumbura, Ngozi, Gitega et Rumonge.
L’objectif général du programme demeure la prise en charge clinique et communautaire des troubles mentaux post-traumatiques au sein des structures de santé publiques, confessionnelles et associatives tant au niveau central que décentralisé. Il visait également à réduire la discrimination à laquelle sont confrontés les patients et leurs familles. Les bénéficiaires directs du programme sont les personnes souffrant de troubles post-traumatiques, leurs familles ainsi que leurs milieux de vie.
Alexis Hatungimana, psychothérapeute, chef de programmes au « Trauma Healing and Réconciliation Services (THARS ) » en même temps coordonnateur national du programme au volet prise en charge communautaire, indique que la population burundaise n’était pas consciente des troubles de santé mentale avant que l’on lance ce programme.
Des problèmes de santé mentale diagnostiqués chez dix mille personnes
Au cours des quatre dernières années, le programme de santé mentale « Ni Abacu » a sensibilisé plus de 500 000 personnes dans quatre provinces. Le psychothérapeute Alexis dit avoir constaté une prise de conscience accrue tout comme le nombre de personnes demandant de l’aide et recevant un diagnostic de troubles mentaux.

Il précise qu’au cours de la période susmentionnée, le nombre de cas diagnostiqués a augmenté régulièrement, passant de 300 à près de 5 000 pour atteindre un total de 10 000 en quatre ans. Selon lui, 13% étaient des enfants de moins de 15 ans tandis que 49% avaient entre 15 et 25 ans ; ce qui démontre alors une forte vulnérabilité des enfants et des adolescents.
Et à Alexis Hatungimana de déclarer : « 45,3 % de ces personnes souffraient de syndrome de stress post-traumatique . Bon nombre d’entre elles sont victimes des inondations qui ont secoué le nord de la ville de Bujumbura notamment à Gatunguru entre 2014 et 2017. A ceux-là s’ajoutent 5 000 commerçants touchés par l’incendie qui a ravagé le 27 janvier 2013 l’ancien marché central de Bujumbura , l’un des principaux pôles économiques dont disposait le pays.»
Problèmes de santé mentale, une métaphore
Pour les enfants, Hatungimana explique que de nombreux problèmes de santé mentale découlent de traumatismes de l’enfance non résolus. « Les enfants victimes de maltraitance, nés dans une extrême pauvreté ou issus de familles de réfugiés, portent des blessures mentales non cicatrisées à l’âge adulte », a-t-il fait savoir.
Alexis Hatungimana, psychothérapeute, chef de programmes chez Trauma Healing and Reconciliation Services ( THARS ) et coordonnateur national du projet « Ni Abacu » au volet communautaire.
Procédant par une analogie, le psychothérapeute compare chaque individu à une « poubelle » qui accumulent les difficultés quotidiennes. « Quand on pense aux inondations récurrentes, aux glissements de terrain qui laissent les gens sans abri et aux traumatismes qu’ils subissent, le poids est immense », a-t-il prévenu avant d’ajouter que les guerres cycliques qui ont endeuillé le Burundi pendant des décennies, couplées avec la flambée des prix et d’autres problèmes sociaux aux luttes sociales remplissent rapidement la poubelle.
Sans soutien psychologique adéquat, informe-t-il, « cette poubelle métaphorique déborde. C’est dans ce cas-là que la maladie se manifeste comme une maladie mentale ».
Hatungimana souligne qu’une psychothérapie est essentielle pour exposer ces fardeaux accumulés et guider les individus vers un rétablissement.
Les jeunes, une catégorie la plus vulnérable
Le programme « Ni Abacu » a rapporté le long de sa réalisation que la tranche d’âge la plus vulnérable se situe entre 25 et 35 ans, selon les données fournies par des centres de santé (71 %) et des hôpitaux (93 %). Les femmes constituaient selon les mêmes données la catégorie la plus touchée (66,7 %), suivies des jeunes (14,3 %), des hommes et enfin des veuves, veufs et divorcés (7,1 %). La dépression et l’épilepsie ont été les maladies mentales les plus fréquemment diagnostiquées.
Malgré ces chiffres, force est de constater que les individus, les communautés, la société, les partenaires au développement et même le gouvernement négligent encore le sujet de santé mentale et le banalisent toujours.
Que ce soit Dr Godelieve Nimubona, psychiatre que ce soit Alexis Hatungimana, psychothérapeute, tous regrettent que la santé mentale soit toujours classée parmi les maladies non transmissibles. M. Hatungimana exhorte plutôt le gouvernement à faire de la santé mentale une priorité face aux défis croissants auxquels le pays est confronté. « Il n’y a pas de santé sans santé mentale », a-t-il déclaré.
Il avertit que les problèmes sociaux comme les pénuries de carburant, la flambée des prix et les effets du changement climatique aggravent les conditions de vie des populations et que : « si jamais la santé mentale continuerait à être négligée, la communauté va perdre la capacité de travailler et de contribuer au progrès du pays ».
Le psychothérapeute témoigne aussi son inquiétude sur le manque de données actualisées complètes sur la santé mentale au niveau national.
Soins de santé mentale chez les enfants : un sujet complexe
Dr Nimubona G., psychiatre, se montre très inquiète face à la rareté de professionnels de santé mentale au Burundi. « Actuellement, il n’existe qu’un seul hôpital psychiatrique dans tout le pays, un seul Centre neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK). Le Burundi ne compte que quatre psychiatres, dont trois seulement sont disponibles pour soigner la population. », s’indigne-t-elle.
Les résultats du programme « Ni Abacu » révèlent que les enfants et les adolescents constituent sont parmi les groupes le plus vulnérable en matière de santé mentale, tout comme les femmes. Malheureusement, cette spécialiste attachée au centre neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK) depuis 2008, a constaté que le pays manque de pédopsychiatres, ce qui bloque toujours la création d’un programme de santé mentale propre aux enfants et aux adolescents.
Elle tire aussi une sonnette d’alarme sur la pénurie de psychotropes nécessaires pour la prise en charge des troubles mentaux chroniques. Ces médicaments sont en quantité limitée et leur coût exorbitant, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat des patients tout au long de leur vie.
Des actions dans le sens de catastrophes climatiques en croissance
Interrogé sur le sujet, le Général Major de Police Roger Ndikumana, Directeur Général de la Protection civile, Président de la plateforme nationale de prévention et de gestion des risques de catastrophes, a confirmé un impact croissant du changement climatique. C’était en marge de la célébration de la Journée mondiale de la protection civile le 7 mars 2025.
« Le changement climatique a considérablement augmenté la fréquence des catastrophes dans notre pays », a déclaré le général de police, citant la fréquence croissante des inondations et des glissements de terrain.

Évoquant les efforts de cette unité de police sous sa responsabilité pour faire face aux inondations, M. Ndikumana a déclaré : « Lors des inondations survenues à Gatumba, nous avons évacué les victimes vers différents sites et avons assuré l’accès à l’eau potable avec le soutien de partenaires au développement ayant fournis des services de base. » Malgré ces efforts, il a noté pas mal de défis, notamment l’insuffisance d’équipements de protection civile, tels que des citernes à eau potables, … qui limitent les interventions aux populations affectées par des catastrophes naturelles ou par des dérèglements climatiques.
Le Directeur Général de la protection civile a également fait état de progrès significatifs dans la planification de la gestion des catastrophes, notamment grâce à la collaboration avec des spécialistes du domaine pour identifier toutes les zones à haut risque. Ces zones ont été intégrées à un système de cartographie multirisque afin d’améliorer la planification et la prise de décision. Des projets sont également en cours pour développer des outils d’évaluation des dommages causés par ces catastrophes.
Toutefois, la Croix-Rouge du Burundi a critiqué la lenteur observée dans la réponse de la police lors des situations d’urgence telles que les inondations et les feux de brousses appelant ainsi à une meilleure communication entre toutes les parties prenantes.
Ndikumana a, pour cette occasion, exhorté les habitants riverains du lac Tanganyika et de ceux-là proches de la rivière Rusizi à suivre les consignes de sécurité afin de réduire les risques. Il a parlé d’une impérieuse nécessité d’une action collective pour faire face aux risques croissants de catastrophes dus au changement climatique au Burundi en mettant en évidence les conditions de vie difficiles auxquelles sont confrontées les victimes des effets du changement climatique dans leurs sites temporaires à travers le pays.
Quoi qu’ils aient été relocalisés vers le site Gateri, en province Cibitoke dans l’ancienne structure administrative du Burundi, dans la partie ouest, un site qui offre des conditions climatiques relativement stables, Sylvane Bigirimana et son fils Ciza Jean-Marie, sept ans, continuent de subir les difficultés de vie de sinistrés en raison de dégradation des conditions climatiques du temps du site Gisagara.
Ils doivent notamment s’adapter à un environnement inconnu voire étrange, ce qui les expose à des troubles de stress post-traumatique avec des perturbations au niveau de la scolarisation de l’enfant en question. Les défis à relever vont bien au-delà du logement, car l’assistance psychologique reste utopique.
Cet article a été réalisé avec l’appui financier des bourses Rosalynn Carter pour le journalisme en santé mentale en partenariat avec le Centre mondial pour la santé mentale des enfants et des adolescents de la Fondation Stavros Niarchos (SNF) au Child Mind Institute .