A la UneFrenchPolitique

Burundi : quand un parti remporte 100 % des sièges, la démocratie est-elle en danger ?

Au Burundi, les résultats provisoires du double scrutin législatif et communal du 5 juin 2025 annoncent une victoire totale du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, qui remporterait tous les sièges de la prochaine législature. Si le parti se réjouit de ce succès, l’opposition et certains observateurs dénoncent des fraudes et appellent à la vigilance démocratique dans un contexte où un score de 100 % soulève des interrogations sur la pluralité politique et la transparence électorale.

Selon les résultats provisoires du double scrutin législatif et communal du 5 juin 2025, publiés ce mercredi par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, est déclaré vainqueur, raflant tous les sièges de la prochaine législature 2025-2030. Sur 111 députés, 100 ont été élus, tandis que 8 autres, tous Hutus du parti au pouvoir, ont été cooptés, de même que 3 députés de l’ethnie Twa.

Le CNDD-FDD parle d’une victoire justifiée

Lors d’un point de presse animé le samedi 7 juin 2025, le secrétaire général du parti Reverien Ndikuriyo parle d’une victoire qui était déjà garantie :” Je me suis demandé pourquoi il n’y avait pas de gens qui venaient voter. Un des responsables d’un bureau de vote m’a déjà répondu que plus de 70 % avaient déjà fini de voter, parce que c’était facile de voter pour le numéro 1. Au niveau du parti, nous étions convaincus que le parti remporterait tous les sièges, au point que nous n’avions même pas besoin de procéder à la cooptation. En effet, lors de visites dans différentes zones du pays où l’adhésion était faible, nous avons renforcé notre présence. Vous avez vu le temps que nous avons passé en commune Ntahangwa à recruter les Bagumyabanga, ainsi qu’en commune Mugere, parce que nous étions conscients de l’enjeu. En commune Rwibaga aussi, vous vous rappelez du temps consacré au recrutement des militants. En commune Kiremba, nous avons fait de gros efforts dans plusieurs endroits parce que nous savions que les gens avaient besoin d’un encadrement.
Là où nous pensions que nous pourrions perdre deux sièges, notamment à la mairie de Bujumbura et à Gitega, on se demande si l’UPRONA obtiendra 2 %, et dans quelle circonscription ce serait possible.”

Des compétiteurs rejettent les résultats

Après la proclamation, le candidat député indépendant dans la province de Bujumbura, Jules Niyongabo, a dénoncé des résultats biaisés. Il a expliqué que même durant la période de l’indépendance, où tous les Burundais s’étaient mobilisés contre le colonisateur, un tel score n’avait jamais été atteint, alors que beaucoup soutenaient le parti UPRONA du Prince Louis Rwagasore. Il a aussi cité l’exemple des élections de 1993, où presque tous les Burundais aspiraient à la démocratie, et où le FRODEBU du président Melchior Ndadaye n’avait pas obtenu un tel score. Pour ce candidat, les résultats proclamés sont fabriqués par le CNDD-FDD, dont le seul but est de décourager les autres compétiteurs politiques afin d’instaurer au Burundi le monopartisme.

Le parti Conseil des Patriotes (CDP) qualifie ces élections de « fantaisistes ». Anicet Niyonkuru, président du parti, dénonce : « Nous exprimons notre profonde indignation et affirmons qu’il y a eu un hold-up électoral général au Burundi. Ces résultats annoncés par la CENI ne sont pas les vrais résultats que les Burundais souhaitent, mais des résultats inventés par la CENI et dictés par le pouvoir. Il n’y a donc pas eu d’élections, mais une tricherie généralisée. Il faut une annulation pure et simple. »

Quant au parti UPRONA, il rejette en bloc les résultats et demande à la CENI de tirer toutes les conséquences de ces irrégularités. Olivier Nkurunziza appelle également le président de la République, considéré comme le garant de la démocratie, à ordonner la libération de toutes les personnes arrêtées dans le cadre de ces élections.

Cette formation politique appelle le gouvernement à initier un dialogue national afin de repenser un système de gouvernance adapté au contexte burundais. Pour l’UPRONA, le Burundi a besoin d’un pouvoir qui réconcilie les Burundais, et non d’un pouvoir qui approfondit les divisions.

Dans une déclaration du mardi 10 juin 2025, la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme affirme avoir constaté certains manquements au cours du processus électoral des conseillers communaux et députés. Elle demande à la CENI de doubler de vigilance lors du prochain scrutin. Toutefois, la Commission estime que le processus s’est en général bien déroulé.

Pluralité et autoritarisme : enjeux et réalités des processus électoraux

Dans une démocratie pluraliste, la compétition électorale suppose la coexistence de plusieurs partis, rendant quasi impossible qu’un seul remporte 100 % des voix. Selon Robert Dahl, figure majeure de la théorie démocratique, la pluralité et la compétition sont des critères fondamentaux de la démocratie (Polyarchy, 1971). La présence d’une opposition viable garantit la diversité des opinions et la légitimité du système politique. À l’inverse, les régimes monopartites ou autoritaires restreignent la pluralité politique, contrôlent les processus électoraux et limitent la liberté d’opposition, rendant les résultats largement prédéterminés (Levitsky & Way, Competitive Authoritarianism, 2010).

Les institutions jouent un rôle crucial dans le maintien d’une compétition électorale équitable. L’absence ou la répression de l’opposition, le contrôle des médias par le parti dominant, ainsi que la manipulation électorale par fraude ou intimidation compromettent la transparence du scrutin (Norris, Electoral Integrity, 2014). Ces pratiques caractérisent des régimes hybrides ou autoritaires où l’opposition est marginalisée et où la domination d’un parti unique reflète moins une adhésion populaire qu’une contrainte politique.

Enfin, des facteurs sociaux et culturels peuvent aussi expliquer un soutien massif à un parti unique, notamment dans des contextes post-révolutionnaires ou d’indépendance, où un consensus populaire temporaire peut émerger (Lipset & Rokkan, Party Systems and Voter Alignments, 1967). Cependant, ce monopole du pouvoir à long terme engendre un risque d’autoritarisme, affaiblit les mécanismes de contrôle démocratiques et limite l’innovation politique et sociale. Les exemples historiques du Parti communiste en URSS ou du parti Baas en Syrie illustrent ces dynamiques, tandis que dans les démocraties stables, un parti dominant ne remporte jamais 100 % des élections (Przeworski et al., Democracy and Development, 2000).

Journaliste reporteur , fact-checker, créateur de contenus, responsable des réseaux sociaux à la Radio Indundi Culture, et contributeur wikimedien

What's your reaction?

Related Posts

WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE